Chronique

Oublie-moi

L’internet a la mémoire longue, pratiquement éternelle. Pour le meilleur et pour le pire.

Le pire, c’est l’accablante histoire de cet homme d’affaires de Montréal qui poursuit Google pour 6 millions de dollars en dommages et intérêts, comme le racontait mon collègue Philippe Teisceira-Lessard, samedi dernier.

En 2007, cet homme bien connu à Montréal et à New York a découvert avec stupéfaction qu’un site web américain rapportait qu’il avait été reconnu coupable de pédophilie, une accusation sans aucun fondement puisque l’homme n’a jamais été accusé de quoi que ce soit. Malgré tous ses efforts pour faire disparaître ces renseignements discriminatoires du web, l’information refait constamment surface depuis ce temps. Comme un cauchemar qui revient chaque nuit.

Mais la mémoire infinie du web a aussi de bons côtés. Combien de fois ai-je reçu des courriels de lecteurs qui venaient d’éviter de tomber dans un piège après avoir pris connaissance sur la Toile d’un de mes anciens articles où je dénonçais un couvreur véreux, un type sans vergogne qui recule des odomètres ou un fraudeur maître du flip immobilier.

Auparavant, il fallait aller à la bibliothèque pour consulter les archives des journaux. L’information était vite périmée. Aujourd’hui, tout est accessible en quelques clics à partir de son ordinateur. L’information est disponible à la demande, parfois des années plus tard, au moment où les internautes en ont vraiment besoin.

Il s’agit d’un indéniable avantage pour les consommateurs qui peuvent facilement connaître l’historique des gens avec lesquels ils font affaire et ainsi s’éviter des bosses.

N’empêche, l’équilibre entre l’éternité numérique et le droit à l’oubli sur le web est souvent difficile à trouver, comme le démontre une étude réalisée par Alexandre Plourde, d’Option consommateurs, en octobre dernier.

L’organisme déplore le flou juridique entourant le droit à l’oubli. Il réclame des mécanismes innovants, simples et efficaces permettant aux consommateurs de faire valoir leurs droits lorsqu’ils sont visés par des contenus diffamatoires sur l’internet.

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L’Europe a fait figure de pionnier avec l’affaire Google Spain en 2014. En s’adressant aux tribunaux, un agent immobilier a obtenu que le moteur de recherche supprime des hyperliens menant vers des sites web qui relataient de vieilles histoires de saisies pour dettes dont il avait fait l’objet.

C’est le principe du déréférencement. L’information existe toujours sur l’internet. Mais la route pour s’y rendre est fermée.

Depuis ce jugement, les Européens peuvent exiger des moteurs de recherche le déréférencement de certains liens qui les concernent, dans les limites du respect de l’intérêt public.

Par la force des choses, les moteurs de recherche en Europe sont pratiquement devenus des tribunaux non officiels de la réputation. Sans avoir nécessairement la formation, leurs employés ont la tâche délicate de juger ce qui doit disparaître ou pas de la sphère numérique européenne.

En deux ans, Google a reçu quelque 400 000 requêtes de déréférencement. Dans 43 % des cas, le moteur de recherche a accédé à la demande soumise. Mais les critères utilisés pour trancher restent flous, et les résultats sont parfois déroutants.

Par exemple, un conducteur ivre qui avait blessé son passager a obtenu l’absolution de Google, tandis qu’une personne acquittée d’un crime violent à cause de troubles mentaux n’a pas pu en bénéficier, rapporte Option consommateurs.

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En Amérique du Nord, le processus de déréférencement est fort peu encadré. Chaque moteur de recherche a son propre modus operandi.

De son propre chef, Google supprime les liens menant à des images de violence sexuelle visant les enfants ainsi que ceux associés au pollupostage. Il accède aussi aux demandes de déréférencement dans certaines circonstances très limitées : 

— On a publié votre numéro d’assurance sociale, votre numéro de permis de conduire ou de passeport sur le web ? Vous risquez de vous faire voler votre identité et d’être victime de fraude ? Ça va : Google effacera le lien.

— Pour se venger, votre ancien amoureux a mis en ligne des images sexuellement compromettantes sans votre accord ? Ici encore, Google promet d’agir.

Sinon, c’est plus compliqué. Les internautes peuvent s’adresser directement au site web qui a publié l’information pour éradiquer le mal à la source. Mais quand il s’agit d’un site peu recommandable, bonne chance !

Par ailleurs, les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels donnent aux internautes le droit d’effacer des photos et des commentaires qu’ils regrettent sur les médias sociaux.

D’ailleurs, un grand ménage est fortement recommandé pour les candidats qui se lancent en politique et qui ne veulent pas qu’Infoman déterre d’anciens commentaires disgracieux comme ceux de la candidate bloquiste de 18 ans qui avait écrit qu’en cas d’attaque nucléaire, elle s’assurerait d’avoir « [son] cell, un pénis, ben des chips » !

Mais le grand ménage n’est pas une panacée. Des études démontrent que plusieurs médias sociaux conservent dans leurs archives les renseignements que leurs membres leur ont demandé de supprimer, rapporte Option consommateurs.

Pour nettoyer leur réputation sur le web, les internautes ont peu d’options. Le recours aux tribunaux est un processus long et coûteux qui risque d’attirer encore plus de publicité sur l’information qu’ils veulent effacer.

Certains internautes s’en remettent à des entreprises de réparation de la réputation en ligne. Mais leurs services coûtent la peau des fesses – de 500 à 6000 $ par mois dans certains cas –, et les résultats sont loin d’être garantis.

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